Le télétravail en période de confinement: une épreuve ou une opportunité?

Depuis mi-mars et les mesures de semi-confinement imposées par le Conseil Fédéral, le télétravail est apparu comme la panacée pour répondre aux besoins de l’économie et limiter la propagation du Covid-19. Choisi, le home office est une expérience souvent bénéfique qui normalement réduit le stress et permet de mieux concilier vie privée et vie professionnelle. Mais dans la situation actuelle, où le télétravail a été imposé, où il est subi pour la plupart d’entre nous, sans avoir été anticipé, ni préparé, celui-ci peut devenir une véritable épreuve… Ou une belle opportunité!

 

Du juste équilibre entre vie privée et professionnelle

Parmi les difficultés avancées, celle de la séparation ou distance entre la sphère intime, familiale et son activité professionnelle. Bien sûr, les conseils en la matière ne manquent pas, comme dans cet article d’arcinfo: «Aménagez un espace de travail agréable. Optez pour un coin calme – dans l’idéal, une pièce isolée – suffisamment spacieux et lumineux, sans pour autant que cela perturbe la parfaite visibilité de votre écran.» Voilà pour l’idéal. Mais qu’en est-il en réalité?

Si l’espace privé est petit (ou même moyen) et qu’il faut le partager avec des enfants en bas âges et un conjoint également en télétravail, il est clairement plus difficile d’aménager un «coin calme» et de s’isoler. Car la situation actuelle a cela d’inédit que les enfants scolarisés, les collégiens et les étudiants sont également en «télétravail». Les journées peuvent très vite engendrer un stress très important lorsqu’il faut jongler entre les obligations professionnelles ou scolaires – calendriers de réunions, deadlines, devoirs, examens – et les tâches domestiques – ménage et repas. Sachant que ces dernières étaient, en temps normaux, parfois déléguées à des tiers (cantines, femmes de ménage) et qu’elles viennent en surplus. Les mesures de confinement, plus ou moins strictes selon les pays, n’arrangent bien évidemment pas les choses. Les échappatoires sont minces et l’effet cocotte-minute plane sur les foyers, même les plus équilibrés. Et s’il ne s’agissait pas que d’une question d’organisation, mais aussi de pulsion?

En langage PULSIONS, la pulsion Performance Personnelle identifie la manière avec laquelle une personne prend en main et organise son travail. En voici deux exemples. Celle dont la pulsion Performance Personnelle se situe dans le bleu prend en main la situation, s’organise par elle-même et crée les conditions dans lesquelles elle souhaite travailler. L’autonomie étant un facteur de motivation, elle profite de chaque situation qui lui permet de s’installer dans son espace personnel. Le télétravail peut ainsi très bien lui convenir.

La personne dont la pulsion Performance Personnelle se situe dans le vert a quant à elle besoin de collaborer, de s’organiser en fonction de ce qui est demandé. De plus, son attention est captée par ce qui se passe dans son environnement immédiat. Pour elle, il est essentiel que son entreprise précise clairement ses attentes quant au travail à fournir depuis son domicile et il faut espérer que le lieu où elle habite et l’animation qui règne autour d’elle favorisent sa concentration à travailler. A défaut, son efficacité peut s’avérer bien moindre.

 

Réinventer l’esprit d’équipe

L’autre écueil du télétravail imposé concerne l’organisation même de l’activité professionnelle avec la difficulté de conserver l’esprit d’équipe, les processus en vigueur jusque-là et la motivation des salariés. Là encore, l’établissement rapide de règles et d’un cadre par les supérieurs est souhaitable et salvateur. Dans ce contexte, il convient de ne pas oublier les interactions informelles, autrement dit, le small talk autour de la machine à café, qui fait partie de la cohésion d’équipe. Ces échanges et interactions manquent particulièrement aux personnes vivant seules.

Dans un article consacré au sujet, Philippe Guibert, directeur médical chez International SOS, un organisme qui accompagne des sociétés face notamment à des crises sanitaires, explique comment recréer ce lien social. «Par exemple, les dix premières minutes d’une conférence téléphonique peuvent être officiellement consacrées à des échanges informels. Comment les gens vivent cette situation. Penser à la vie sociale de l’entreprise avant de passer au travail». Ces précautions peuvent limiter la démotivation qui s’invite également dans le scénario, pas forcément au début d’ailleurs, comme le souligne Evelyne Stawicki, coach et psychologue du travail, interrogée par la radio française: «Passé les premières semaines d’excitation, de mise en œuvre, de mobilisation, de prise de nouveaux repères, on assiste à une forme de fatigue psychique. La motivation commence à faiblir. Ça rappelle le fameux mur des 30 kilomètres que l’on rencontre quand on court le marathon». Une phase et un sentiment normaux dans le contexte actuel selon la psychologue qui ajoute: «L’absence des collègues et la dynamique d’équipe manquent. La solitude ou au contraire la promiscuité pèsent». Là aussi, les pulsions et les contextes identifiés par notre méthode s’en mêlent.

Dans l’approche PULSIONS, la pulsion Social identifie la manière dont une personne crée et gère la relation avec les personnes qui l’entourent. La personne dont la pulsion Social se situe dans le bleu a besoin d’être entourée de personnes qu’elle apprécie, avec qui elle se sent bien. Pouvoir échanger, apporter son aide, se préoccuper de ses collègues, discuter des sujets autres que l’activité professionnelle sont des moments essentiels pour créer le climat dans lequel elle s’épanouit. Pour elle, le télétravail peut être difficile à supporter et sa motivation à produire peut s’en trouver fortement affectée. De plus, si elle se sent très bien dans son entourage privé, elle peut même en arriver à oublier de travailler. Pour combler ce manque relationnel, elle peut par exemple trouver toutes les bonnes occasions de prendre contact avec ses collègues par téléphone ou visio-conférence.

Celle dont la même pulsion se situe dans le vert a quant à elle besoin d’être en contact avec ses collègues car sa manière de gérer la relation avec eux est centrée sur le travail à effectuer. Elle s’investit et se comporte de manière à créer le climat relationnel qui favorise la bonne collaboration. Etre au contact des autres et collaborer dans l’esprit que chaque personne apporte sa contribution est très important pour elle. Le télétravail peut ainsi devenir pesant, la présence et l’activité vécue en commun pouvant lui manquer.

 

Home office: comment travailler?

A ces considérations, il faut ajouter la question technique qui est venue embrouiller et compliquer l’exercice d’un télétravail mis en place à la va-vite dans beaucoup de sociétés. Dans le meilleur des cas, l’entreprise a pu fournir du matériel et des possibilités de connexion à distance. D’autres ont dû utiliser leur propre matériel informatique, avec des fonctionnalités plus ou moins à niveau et compatibles. Sans compter les problèmes de réseau, de connectivité et de connexion qui engendrent leur lot d’énervement et de stress. A cela est venu s’ajouter la gestion des outils du travail à distance et cette question: «Comment communiquer?» L’utilisation de plusieurs messageries en même temps – mail, WhatsApp, Slack, Messenger – et des nombreuses applications – Zoom, Skype, Hangout, Teams – permettant de se retrouver en vidéo conférence notamment, contribuent à renforcer un sentiment de trop-plein et de débordement.

En terminologie PULSIONS, c’est la pulsion Utilité qui identifie comment la personne s’y prend pour concrètement produire, délivrer. Ici aussi, deux exemples. La personne dont la pulsion Utilité se situe dans le bleu aborde toute situation en se demandant comment s’y prendre, focalisée sur les aspects pratiques de la tâche à réaliser. D’emblée, elle sélectionne les outils qui lui paraissent les plus utiles et adopte une procédure pour se mettre au travail. Travailler seul, dans le sens de produire seul, est très motivant pour elle. Le télétravail peut donc être un contexte lui permettant de délivrer avec beaucoup d’efficacité.

Une personne dont la même pulsion se situe dans le vert a quant à elle besoin de produire en équipe, d’utiliser les outils fournis et d’appliquer les procédures décidées par son entreprise. En situation de télétravail, elle va donc dépendre de ce que son entreprise lui aura mis à disposition et de la qualité et de l’efficacité des procédures qu’elle aura mises en place pour ses collaborateurs. Par ailleurs, le fait de se retrouver seule pour produire peut diminuer sa capacité à délivrer.

 

Adaptation et résilience

Pour des milliers d’entreprises, il aura fallu gérer, dans l’urgence, la situation présente. En langage PULSIONS, le contexte orange identifie la manière dont une personne agit dans l’urgence, fait face aux problèmes, gère les situations dont on a perdu le contrôle et qui nous obligent à nous battre pour s’en sortir. Une personne qui a une ou plusieurs pulsions dans l’orange dispose de ressources en telle situation. Elle est alors poussée, motivée à agir pour tenter de résoudre le problème le plus vite et efficacement possible. Son apport peut être précieux et déterminant en cas de situation de crise majeure. A l’inverse, la personne qui n’a pas de pulsion dans l’orange va se sentir démunie face à la situation. Elle peut alors se disperser en agissant de manière désordonnée, ne contribuant pas à résoudre concrètement le problème. Elle peut aussi se sentir paralysée et devenir spectatrice de la situation. La solution à trouver dépendra alors clairement des autres personnes qui elles, ont de la ressource en telle circonstance.

Si le télétravail, imposé et orchestré dans un contexte de confinement, se présente comme une épreuve qui peut virer au cauchemar, il peut aussi être vu comme une opportunité et proposer un nouveau paradigme du monde du travail, comme le suggère Cédric Fraissinet, directeur pour la Suisse de International SOS: «Si cela va durer deux-trois mois, ça va changer à la racine les processus dans les entreprises pour les fonctions de bureau». Comme toute épreuve ou crise, celle de l’épidémie du Covid-19 révèle les capacités de chacun à s’adapter plus ou moins bien, à faire preuve d’inventivité et de résilience, comme le souligne le psychiatre Boris Cyrulnik dans une interview: «Ceux qui avant le virus avaient acquis des facteurs de protection, un bon développement, une aptitude à la parole, un réseau amical, ceux-là vont s’adapter et après ils sortiront même renforcés. Ceux qui avaient acquis des facteurs de vulnérabilité, maladie, difficultés sociales, un petit logement avec beaucoup de monde, ceux-là vont sortir exaspérés».

Au niveau opérationnel et en langage PULSIONS,  la pulsion Nouveauté est celle qu’une personne mobilise pour apporter du changement à l’existant et il est intéressant d’identifier le contexte dans lequel elle active réellement sa créativité. Celle qui l’active dans le bleu veut tout changer tout le temps, ce qui est nouveau étant bien plus intéressant que ce qui existe. Celle qui l’active dans le vert observe avec acuité l’existant en reconnaissant ce qui marche bien et ce qui doit être amélioré. Son efficacité à changer les choses est optimale lorsque la situation est normale, qu’elle a du temps pour effectuer les changements jugés nécessaires, les changements opérés ayant pour but d’optimiser l’existant avant que ce qui ne marche pas ne pose de vrais problèmes.

Celle qui l’active dans l’orange ne voit pas pourquoi il faudrait apporter des changements si globalement cela fonctionne bien. En revanche, dès que le problème est là, qu’il nous impacte et qu’il faut le résoudre sans délai au risque que cela devienne très grave, voire incontrôlable, sa créativité à trouver la solution pour nous sortir rapidement du problème est à l’œuvre. Face à une situation de crise, cette personne peut s’avérer extrêmement précieuse.

 

Sources :

https://www.24heures.ch/suisse/teletravail-preserver-sante-mentale-employe/story/15322385

https://www.franceinter.fr/societe/le-teletravail-une-source-de-detresse-pour-pres-de-la-moitie-des-salaries-selon-une-etude

https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/onvousrepond-psychiatre-boris-cyrulnik-parle-du-blues-du-confinement_3922915.html

https://www.arcinfo.ch/articles/regions/canton/sept-conseils-pour-bien-vivre-le-teletravail-928389

https://www.projuventute.ch/fr/parents/famille/coronavirus-teletravail-garde-des-enfants

https://www.24heures.ch/signatures/reflexions/coronavirus-teletravail-droits/story/10691281

https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/on-s-y-emploie-teletravail-comment-lutter-contre-la-baisse-de-motivation_3900117.html